Guyanologie - La Guyane, an Tan Lontan

déjà 35 840 visiteurs
Aujourd'hui : 33
Actuellement : 5

La Nouvelle France - Le Grand Dérangement ou la déportation des Acadiens en Guyane


Voir Source et suite : Bernard CHERUBINI http://genealogie.dalbiez.eu/Habitants Acadiens Guyane.html

La Guyane était demeurée française à la faveur d'une violente tempête qui avait empêché les Britanniques de s'en emparer. Elle restait donc sur la liste des rares colonies françaises à développer. C'était même le premier choix du ministre Choiseul qui croyait que la perte du Canada pouvait être compensée en quelle sorte par la colonisation de la Guyane. Choiseul voulait en faire un «nouveau Canada» sous le nom de France équinoxiale, parce que la durée des jours et des nuits y reste approximativement la même tout au cours de l'année. Une campagne de publicité fut entreprise sur ce projet de colonisation. Le ministre Choiseul avait promis, on s'en souvient, d'énormes avantages aux Acadiens qui acceptaient de partir en Guyane. Il vantait les infrastructures, le climat agréable, les facilités de travailler la terre, les soldes durant deux ans, etc. Le ministre des Colonies, le duc de Choiseul, avouait qu'«il n’y a pas moyen de les placer ailleurs», ce qui signifiait qu'il n'était pas dans ses intentions d'installer les Acadiens en France et qu'il semblait préférable de les envoyer à la Guyane. De plus, en mai 1780, la Compagnie de Guyane («Propositions faites à Paris aux députés acadiens de Nantes pour l'établissement des familles acadiennes à la Guyane»), sous la plume du sieur de Rosembourg, promettait aux Acadiens de les regrouper par familles dans des villages ou paroisses desservies par des prêtres


Les familles acadiennes seront établies à la Guyane, autant que faire se pourra, sur des hauteurs ou collines et à proximité des rivières, en un ou plusieurs villages, suivant leur nombre et la situation des terrains qui leur seront accordés afin qu'elles demeurent unies entre elles pour former une ou plusieurs paroisses qui seront desservies par les curés ou vicaires que la compagnie fournira et à la subsistance desquels elle pourvoira.

Bref, c'était un véritable paradis sur terre! Pourtant, la plupart des Acadiens se montrèrent réticents à ce projet, car ils craignaient d'avoir à endurer des températures trop élevées. Ils croyaient aussi que la Guyane était une île des Antilles (voir la carte), leurs connaissances en matière de géographie, comme celles de tous les Français peu instruits de l'époque, étant plutôt limitées.


Finalement, le ministre des Colonies réussit à convaincre quelque 600 Acadiens d'aller coloniser la Guyane, située juste au nord du Brésil. Ceux-ci partirent pour les tropiques entre 1763 et 1765. Les Acadiens n'étaient pas seuls en Guyane. Il y avait aussi des Français, mais davantage d'Allemands, de Lorrains, d'Alsaciens — la Lorraine et l'Alsace n'appartenaient alors pas à la France — et même des Maltais (l'île de Malte étant alors sous influence française), pour une population totale de Blancs atteignant 1500, ce qui rendait la population acadienne proportionnellement fort importante. Puis, très rapidement, la France envoya des milliers de Français, de 10 000 à 15 000 résidents supplémentaires. Tous ces démunis s'installèrent sur le littoral à Iracoubo, à Sinnamary et à Kourou. Mais il y avait un problème! Contrairement aux promesses des autorités, absolument rien n'avait été prévu pour accueillir un nombre aussi important de personnes en un si court laps de temps. Ces milliers d'immigrants demeurèrent sans vivres, sans médicaments ni soins, et furent laissés complètement à l'abandon.


Ne pouvant travailler sous un climat tropical, ils se contentèrent de consommer les provisions qu'ils avaient la chance de recevoir parfois. Le climat tropical insalubre et les épidémies décimèrent la moitié de tous ces nouveaux colons en l'espace de quelques mois, y compris les Acadiens, qui ne furent pas davantage épargnés. En 1767, sur les 15 000 immigrants au départ, environ 2000 survivants furent rapatriés en France, à l'île d'Aix et à Rochefort, dont peut-être 400 Acadiens qui s'embarquèrent aussitôt pour la Louisiane. Il ne resta qu'une poignée d'Acadiens en Guyane qui réussirent à faire leur vie à Sinnamary. Après cette pénible expérience qui n'avait en rien amélioré la gloire de Louis XV, le ministre Choiseul perdit tout espoir d'envoyer les Acadiens peupler d'autres colonies.


Quelques années plus tard, en 1772, on ne comptait plus qu'un millier de Blancs en Guyane pour une population de 8500 esclaves noirs. Le nombre de colons blancs demeura stable jusqu'à l'abolition de l'esclavage en 1848, alors que plus de 12 000 Noirs durent être affranchis. À Sinnamary, on ne dénombra tout au plus qu'entre 30 à 40 familles acadiennes. Les dernières familles blanches, toutes origines confondues, semblent avoir disparu sans laisser de trace entre 1848 et 1900. Les Acadiens se seraient volatilisés avec ce groupe, pour diverses raisons: les maladies, le métissage et la créolisation de leur langue. En raison des nombreux décès qui les décimaient, ils furent contraints à des mariages exogames avec d'autres groupes de Blancs (Allemands, Alsaciens, Créoles blancs, etc.) et avec des Noirs lorsque les conditions sociales le permettaient. Bref, l'installation des Acadiens en Guyane s'est révélée un désastre.


Serment d'allégeance signé par Pierre Belliveau en 1768.
Les Britanniques donnent une alternative aux Acadiens, se retirer en territoire français ou signer un serment d'allégeance inconditionnelle à la couronne. En 1715, les Acadiens de Port-Royal signent un serment d'allégeance conditionnelle, où ils décident de rester neutres en cas de conflit avec la France. À partir de 1720, à la demande du gouverneur Richard Philipps, des députés acadiens sont élus avec, notamment, le mandat de discuter d'un serment d'allégeance inconditionnelle, ce qu'ils refusent à chaque année. Les Britanniques acceptent, n'ayant pas les moyens militaires de soumettre les Acadiens. Le nouveau gouverneur, Charles Lawrence, considère la question acadienne comme strictement militaire et n'est pas conciliant comme ses prédécesseurs.


Tentatives de reconquêtes françaises
La France tente de reconquérir l'Acadie à partir de 1744. Quelques Acadiens, dont Joseph Broussard dit Beausoleil, participent à cet effort, nuisant du même coup à la neutralité acadienne.


Prélude
Selon certains historiens, le Grand Dérangement commence en 1749, lorsque les Britanniques fondent Halifax. Cette ville fait contrepoids à la forteresse de Louisbourg tout en permettant d'affermir la présence britannique. Les Britanniques font venir des Allemands à Halifax mais, puisque ces derniers refusent de s'intégrer à la communauté, 400 familles sont déplacés à Mirliguèche afin de fonder Lunenburg.

L'abbé Jean-Louis Le Loutre craint que les Acadiens de l'isthme de Chignectou soient victimes de déportation et tente de les faire abandonner la rive sud de la rivière Mésagouèche. Selon d'autres historiens[Qui ?], le Grand Dérangement commence à ce moment, et non lors de la fondation d'Halifax l'année précédente. L'abbé Le Loutre parvient à convaincre six cent Acadiens de s'établir à l'île Saint-Jean entre avril en août, et deux mille autres à l'île Royale, tandis que plusieurs autres se rapprochent des forts Beauséjour et Gaspareaux. Le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, Edward Cornwallis, envoie Charles Lawrence avec un corps expéditionnaire composé de mille hommes répartis sur dix-sept navires ; ils arrivent à Beaubassin le 12 septembre et construisent le fort Lawrence. Les Français transforment le camp de Beauséjour en véritable fort l'année suivante. L'abbé Le Loutre, avec l'aide des Micmacs, lance plusieurs attaques contre les Britanniques. L'émigration des Acadiens vers l'île Royale se poursuit et ils y sont 2220 réfugiés en 1751, faisant craindre une disette.

Devant le relatif échec de la fondation de Halifax et le refus des Acadiens de signer un serment d'allégeance, le gouverneur Cornwallis démissionne en mars 1752 et est remplacé par Peregrine Hopson. Ce dernier s'accommode de la situation politique. Il est remplacé en octobre 1753 par Charles Lawrence.

L'abbé Le Loutre part entretemps en France, où, grâce au soutien de l'abbé de L'Isle-Dieu, il rencontre en mars 1753 le ministre Antoine Louis Rouillé, qui accepte son projet d'une Nouvelle-Acadie au nord de la rivière Mésagouèche. Le Loutre entreprend la construction de l'église de Beaubassin en 1753 et de nouveaux aboiteaux en 1754. Les gouverneurs des forts Beauséjour et Gaspereaux se plaignent de leur faible effectif, du manque d'armements et du mauvais état des fortifications précaires. On se plaint aussi que les projets de l'abbé Le Loutre accaparent la main-d’œuvre nécessaire aux travaux sur les forts. L'abbé demande toutefois des renforts à Québec. Son secrétaire, Thomas Pichon, est un espion des Anglais.

L'ingénieur Charles Morris soutient, dans un rapport de 1753, que les Amérindiens sont la principale menace à la colonisation britannique et que ce sont les Acadiens qui les ravitaillent. Charles Lawrence, se basant sur ce rapport, fait approuver en 1754 par le gouvernement britannique la politique selon laquelle les Acadiens qui refusent le traité d'allégeance n'auront pas le droit de propriété. Charles Lawrence refuse aussi de permettre aux réfugiés acadiens de revenir sur leur terres. Les Acadiens refusent une nouvelle fois de prêter serment ce qui justifie, selon Lawrence, leur départ. La commission des Frontières ne parvient pas à un arrangement. William Shirley, qui en faisait partie, devient gouverneur du Massachusetts. Le gouverneur Shirley s'inquiète des relations entre les Abénaquis et les Français et fait approuver par Londres un projet de conquête graduelle de l'Acadie française, d'abord par la rivière Kennebec, ensuite le fleuve Saint-Jean et finalement l'isthme de Beaubassin. Jonathan Belcher est nommé juge en chef de la Nouvelle-Écosse en octobre 1754, avec des prérogatives spéciales : le gouverneur Lawrence peut le consulter directement, sans passer par Londres.

Après la perte de la Nouvelle-France, Choiseul avait décidé d’établir une autre Nouvelle-France en envoyant massivement en Guyane, en 1763-1764, quatorze mille colons alsaciens, allemands, acadiens, français et autres. Improvisée et exécutée dans la confusion, l’opération avait tourné en véritable catastrophe : onze mille colons avaient succombé aux épidémies et deux mille autres avaient été rapatriés ou déplacés ailleurs. Sur une centaine de Canadiens, la moitié avaient été emportés par la fièvre peu après leur arrivée. Puis, les deux tiers des survivants ne passèrent finalement au maximum que quelques années en Guyane. L’exode de la Conquête s’avère ainsi difficile à observer parce que ceux qui y ont pris part formaient une population extrêmement volatile. Dès leur installation quelque part, certains avaient tôt fait de repartir ailleurs et finissaient parfois même par rentrer au Canada. Ce phénomène est notamment flagrant en Touraine où plus de 60 % des 203 Canadiens retrouvés dans cette province n’y sont pas restés. La reprise, après le traité de Paris, de la navigation et du développement colonial avait donné à plusieurs l’occasion de quitter la Touraine et de reprendre du service ailleurs, le plus souvent aux colonies. En Guyane, seulement un millier de colons avaient finalement réussi à s’implanter dont environ 400 Acadiens, Louisbourgeois et Canadiens. Ceux issus de l’élite sociale canadienne se sont installés à Cayenne et ont conservé le même mode de vie, au sein de l’élite locale, en servant le roi et en exploitant parfois non plus des seigneuries mais des plantations. Les Canadiens issus du peuple ont prospéré en se consacrant à l’élevage sur de petites exploitations à Sinnamary, à l’écart des grandes plantations esclavagistes de l’île de Cayenne. Colons d’origine canadienne, louisbourgeoise, acadienne, française, rhénane et autres ont ainsi fusionné et rapidement formé une société créole originale.


Prise du fort Beauséjour
La Chambre des communes vote en 1755 les fonds nécessaire à l'attaque de la Nouvelle-France et William Shirley lève une armée de 2 000 volontaires. Les troupes sont réparties sur trente-trois navires à Boston et placées sous le commandement du lieutenant-colonel Robert Monckton. Ils partent le 22 mai et arrivent devant le fort Lawrence le 2 juin. Louis Du Pont Duchambon de Vergor envoie aussitôt des demandes de renforts dans les différentes régions de la Nouvelle-France ; seul Charles Deschamps de Boishébert parvient à mobiliser quelques Abénaquis. Les 700 Acadiens de l'isthme en âge de prendre les armes sont partagés à l'idée de participer à l'effort de guerre et la plupart se réfugient dans la forêt avec leur famille. Alexander Murray est chargé de désarmer les Acadiens des Mines et de détruire tous les véhicules, le tout afin d'isoler le fort Beauséjour. Le 4 juin, les Anglais traversent la rivière Mésagouèche, prennent la redoute de Pont-à-Buot après une faible résistance et campent à 2,4 kilomètres du fort Beauséjour. Joseph Broussard et des Micmacs capturent un soldat anglais, qui les informe des forces en présence. Le bombardement du 14 juin et les efforts de l'espion Thomas Pichon pour demander la capitulation achèvent de saper le moral des troupes. Le fort Beauséjour capitule devant les Britanniques le 17 juin 1755. À l'intérieur, environ 270 des miliciens sont des Acadiens, faisant douter de leur neutralité à Charles Lawrence. Le fort Gaspereaux se rend avant même l'arrivée des troupes anglaises.

Les Acadiens des environs du fort s'enfuient vers l'île Saint-Jean ou la baie des Chaleurs. L'abbé Le Loutre s'enfuit quant à lui par un passage secret et gagne Québec par la forêt, avant de prendre la mer vers la France. Son bateau est capturé le 15 septembre. Il est emprisonné en Angleterre avant d'être transféré à Jersey, où il reste derrière les barreaux jusqu'en 1763.
Le roi Louis XV de France proteste auprès des Britanniques à cause de cette attaque en temps de paix. Il dénonce aussi, auprès du gouvernement de la Nouvelle-France, la manière dont furent défendus les forts de l'isthme.


Préparatifs et logistique
Représentation d'une réunion entre le conseil et les Acadiens, dans la pièce Le Drame du peuple acadien de Jean-Baptiste Jégo (1930). Charles Lawrence n'a pas le droit de déporter les Acadiens sans prétexte. Appuyé par le gouverneur du Massachusetts, William Shirley, et par la présence des amiraux britanniques Edward Boscawen et Savage Mostyn, Charles Lawrence convoque pour la dernière fois une centaine de députés acadiens à Halifax. Le 25, les 30 députés Acadiens d'Annapolis Royal affirment qu'ils n'ont rien à se reprocher mais refusent de signer un serment inconditionnel. Le même jour, le gouverneur Lawrence fait part au Conseil de son projet de déportation. Le 28 juillet 1755, les député des Mines et de Pigiguit présentent une pétition et refusent de prêter serment. Charles Lawrence fait emprisonner tous les députés acadiens le même jour. Fort de l'appui unanime du Conseil et d'un appui juridique du juge en chef Jonathan Belcher, Charles Lawrence signe l'ordre de déportation, également le 2816.

Le 31 juillet 1755, Charles Lawrence affecte le colonel Robert Monckton à la déportation des Acadiens de l'isthme de Chignectou, le colonel John Winslow aux Mines, le capitaine Alexander Murray à ceux de Pigiguit et le major John Handfield à ceux d'Annapolis Royal.


Traitement des Acadiens
Les Britanniques mettent en œuvre une politique de la terre brûlée, détruisant bâtiments et récoltes, empêchant ainsi les Acadiens de retourner sur leurs terres,6. C'est un immigrant de la Nouvelle-Angleterre, Charles Morris, qui conçoit le plan de la déportation, qui consiste à encercler les églises acadiennes un dimanche matin, à capturer autant d'hommes que possible, à rompre les digues et à brûler maisons et cultures. Les biens des Acadiens sont quant à eux confisqués. Plusieurs familles sont définitivement séparées. Les bateaux, indispensables à la déportation, sont pour la plupart loués à une compagnie de la Nouvelle-Angleterre et réaménagés pour l'occasion. Les capitaines étant payés au nombre de déportés arrivés à destination, ils ont tendance à surcharger les embarcations. La promiscuité, la noirceur, le manque de nourriture et l'humidité causent la mort de nombreux prisonniers alors que la plupart des bateaux n'ont pas de chirurgiens.

Les hommes résistant à la déportation voient leur familles menacées à la baïonnette. À l'automne 1755, environ 1100 Acadiens sont mis à bord de bateaux à destination de la Caroline du Sud, de la Géorgie ou de la Pennsylvanie. Charles Lawrence demande à ses officiers de ne pas prêter attention aux demandes, aux plaintes ou aux supplications des Acadiens, pour quelque raison que ce soit.

Vue du pillage et de l'incendie de la cité de Grimrose, la seule représentation contemporaine connue de la Déportation des Acadiens, par Thomas Davies, 1758. 3 100 Acadiens sont déportés après la prise de Louisbourg, en 1758. 1 649 meurent de noyades ou de maladies, soit un taux de mortalité de 53 %2. De 1755 à 1763, environ 10 000 Acadiens sont déportés,6. La plupart se retrouvent dans les colonies anglaises, en France ou dans les Antilles. Beaucoup meurent de maladie ou de faim à cause des conditions à bord des navires. Les habitants des Treize Colonies n'ayant pas été avertis de leur arrivée, de nombreux acadiens sont déportés à nouveau.


Acadiens en France, Acadiens en Guyane et Acadiens en Haïti
Les Acadiens, conseillés par un certain Duplessis, s'adressent au duc de Nivernais, l'ambassadeur de France à Londres. Le ministre Étienne François de Choiseul souhaite installer les Acadiens en Guyane et à Saint-Domingue tandis que le sieur de la Rochette, représentant de l'ambassadeur, propose les landes de Guyenne et de Gascogne, la Bretagne et l'île de Bouin. Les Français basent leur choix sur une vision déformée de la réalité acadienne : ils ne sont pas aussi attachés à la France qu'on veut le croire, ils sont nostalgiques de l'Acadie, ils n'ont pas la même alimentation qu'en France et, surtout, ils ne sont pas habitués aux restrictions sur les déplacements et les professions.

La plupart des Acadiens déportés en Angleterre s'établissent ensuite à Belle-Île-en-Mer et les autres en Louisiane, à l'île du Cap-Breton, à Pomquet, au Québec ou à Saint-Pierre-et-Miquelon. En tout, 3 000 Acadiens, principalement de Nouvelle-Écosse, sont déportés en France. Ils sont réinstallés pour la plupart en Poitou ( à Chatellerault et sur la Ligne Acadienne : sur les communes de Saint-Pierre de Maillé, Cenan, Archigny et Bonneuil-Matours) ou en Bretagne, et Belle-Île-en-Mer. Ayant de la difficulté à s'adapter, quelques centaines d'entre eux se rendent à Saint-Pierre-et-Miquelon ou en Louisiane. D'autre sont relogés dans les Antilles, où la plupart meurent à cause du climat et de l'insalubrité. Les survivants passent ensuite en Louisiane ou retournent en France. Certains se dirigent ensuite en Amérique du Sud ou retournent en France mais la plupart s'y établissent pour de bon.

L'établissement des Acadiens est tenté en vingt-et-une localités françaises. Le duc de Nivernais avait promis aux Acadiens de les installer sur le territoire français mais, Choiseul étant obsédé par la recréation d'un empire colonial, un établissement est tenté en Guyane. Seulement quelques Acadiens de Saint-Pierre-et-Miquelon se joignent aux colons. La colonie est un échec puisque la fièvre typhoïde, la fièvre jaune et la famine coûtent la vie à dix mille personnes.

Le Duc de Nivernois propose d'établir les réfugiés sur sa propriété de l'île de Bouin – en réalité un plateau au milieu d'un marais – mais ce projet est abandonné puisque le roi achète l'île afin de la fortifier. En avril 1763, Choiseul charge le contrôleur général des Finances, Henri Léonard Jean Baptiste Bertin, de régler la situation des Acadiens. Il propose de les employer dans les mines, ce que Choiseul considère comme de la cruauté. Bertin communique toutefois avec tous les intendants du royaume, leur demandant d'étudier l'installation des Acadiens sur les terres incultes de leur localité. Choiseul propose lui-même son domaine de Chanteloup, près d'Amboise, sans succès. À l'été 1763, Louis de La Vergne de Tressan propose ses terres près de Bitche, au sol pauvre et au climat rude, mais, l'offre n'est même pas étudiée à cause de la demande de dédommagement exorbitante. En octobre de la même année, Belle-Île-en-Mer est proposée. En 1764, le comte Antoine d'Hérouville de Claye propose ses terres des Flandres ; deux Acadiens de Saint-Malo visitent les lieux mais ne sont pas intéressés. Le marquis de Voyer d'Argenson offre quant à lui de les installer sur ses terres près de Chinon. Le comte de Châteaubriand propose d'installer les Acadiens près de Combourg, un territoire alors considéré misérable ; aucun réfugié n'accepte l'offre. Le comte de Clonard abandonne son projet d'installer cent familles dans les landes de Gascogne parce que les Acadiens sont trop « protégés par l'État »35. En août 1768, le Duc de Praslin propose à Clément Charles François de L'Averdy, le successeur de Bertin, de léguer la forêt de Brix, près de Valognes, aux Acadiens ; la forêt étant une terre de la couronne et faisant l'objet de projet de reboisement, le projet n'est pas accepté.

La Corse est acquise de la Grande-Bretagne en 1768 et Choiseul propose d'y installer les Acadiens. Le projet est pris au sérieux et l'abbé Le Loutre et plusieurs compatriotes y font même une visite officielle en 1769. Un autre projet sérieux mais également abandonné est celui de l'assèchement des marais de Blaye, près de Bordeaux. Choiseul est disgracié en 1770 et est remplacé par le duc d'Aiguillon, le chancelier Maupeou et l'abbé Terray[réf. insuffisante]. Le marquis de Saint-Victour fait visiter ses terres près d'Ussel à deux Acadiens, qui sont découragés par l'état des lieux. La duchesse de Mortemart propose, elle aussi, des terres incultes dans la région de Montmorillon.


Le traité d'Utrecht de 1713
En Europe, en 1713, le traité d'Utrecht mit fin à la guerre de Succession d'Espagne. Selon les termes de ce traité, la France cédait l'Acadie à l'Angleterre. Article 12. Le Roy très-chrétien (de France) délivrera à la reine de la Grande-Bretagne […] toute la Nouvelle-Écosse ou Acadie comprise dans ses anciennes limites; et aussi la cité de Port-Royal maintenant appelée Annapolis Royal,…ensemblement le domaine, la propriété et possession, et tous les droits que ledit Roy ou quelqu'un de ses sujets peuvent posséder dans lesdits lieux, et les habitants en sont cédés et soumis à la reine de la Grande-Bretagne.
Seulement le Saint-Laurent, l'île Royale (Cap Breton), l'île Saint-Jean (le Nouveau-Brunswick) et l'Ile-du-Prince-Edouard restaient français. Une lettre, envoyée par la reine Anne d’Angleterre à Francis Nicholson, gouverneur de la colonie, précisa certains termes du traité. Les Acadiens étaient libres de partir avec tous leurs effets ou, s'ils restaient en Nouvelle-Écosse ils seraient sujets de la Grande-Bretagne. Leur liberté de religion serait garantie ainsi que leur neutralité militaire dans une guerre contre la France ou contre les Autochtones. Dorénavant, les Acadiens, français, catholiques, et premiers colons, seraient gouvernés par les Anglais, des protestants.


Le serment d'allégeance
Les serments d'allégeance étaient largement employés en Europe à cette époque. Il n'était pas possible d’être le propriétaire reconnu d'un terrain sans prêter un serment d'allégeance au monarque dirigeant.

Entre 1710 et 1730 il y eut plusieurs tentatives de la part des gouverneurs de la Nouvelle-Écosse pour faire prêter aux Acadiens un serment d'allégeance inconditionnel à la couronne d'Angleterre. Ce serment aurait éliminé les droits acadiens, garantis par le traité d'Utrecht, et par la lettre de la reine Anne. Les Acadiens refusèrent et insistèrent sur un serment qui garantirait leurs droits originaux. Mais en 1729-30 les Acadiens furent trompés et crurent que le serment qu’ils signaient leur donnait tout ce qu'ils demandaient. En effet, à leur insu, le serment dans sa version en anglais, était un serment inconditionnel.

En 1749, George II, roi de l'Angleterre demanda aux Acadiens de prêter un nouveau serment d'allégeance, sans conditions. S’ils refusaient, ils risquaient d’être privés de tous leurs droits. Néanmoins les Acadiens refusèrent, alléguant que leur serment de 1729-30 était encore valide Ils voulaient être assurés de ne pas avoir l'obligation de porter les armes.

En 1755, les Acadiens refusèrent de prêter le serment d'allégeance pour la dernière fois. Ils avaient persévéré pendant des années dans l’espoir de signer un serment portant les conditions définies dans le traité d'Utrecht mais cette résistance fut vaine.


La détermination acadienne de rester sur ses terres
À la suite du traité d'Utrecht, les Anglais s'attendirent à un départ des Acadiens vers les endroits français, mais cela ne produisit pas. Les Français les encouragèrent à déménager à l'Ile-Royale, un endroit encore francophone, mais, les Acadiens eux-mêmes se rendirent compte que leurs très bonnes terres dans l'Acadie étaient beaucoup plus fertiles que ces "terres brutes et nouvelles" d'Ile-Royale.

Dès 1730, pensant qu'ils étaient en sécurité, les Acadiens prospèrent. Ces colons français avaient des fermes dans des endroits de la Nouvelle-Écosse le long de la côte sud de la Baie Française (la Baie de Fundy) et dans le bassin des Mines. Ils avaient construit des digues avec un système des aboiteaux, utilisant une technique de la France, afin de reprendre la terre des marais salés. Leurs récoltes étaient abondantes et ils voulaient rester là. "Le sentiment de la patrie acadienne avait pénétré leur âme. L'amour du sol acadien était entré dans leur cœur. Ils étaient devenus des Acadiens."


La convoitise des Anglophones
Dès avant 1755, les Anglais voulaient les terres des Acadiens ... les Acadiens occupaient les plus belles terres de la Nouvelle-Ecosse et ... leur présence en cette province constituait un obstacle insurmontable à l'établissement de colons anglais. Mais les Anglais n'étaient pas encore prêts à les expulser en contravention au traité d'Utrecht. Les Acadiens étaient utiles pour les Anglophones, parce qu'ils fournissent une main-d'œuvre pour la garnison à Annapolis Royal, ainsi que l'approvisionnement des denrées essentielles pour la survie. De plus, les Acadiens les protègeaient contre les Micmacs et les Abénaquis, qui n'aimaient pas les Anglophones. En 1755 une lettre d'un lieutenant de Gouverneur Lawrence montre les intentions des Anglophones: Nous formons actuellement le noble et grand projet de chasser de cette province les François neutres qui ont toujours été nos ennemis secrets et ont encouragé nos sauvages à nous couper la gorge. Si nous pouvons réussir à les expulser, cet exploit sera le plus grand qu'aient accompli les Anglais en Amérique, car au dire de tous, dans la partie de la province que ces Français habitent, se trouvent les meilleurs terres du monde. Nous pourrions ensuite mettre à leurs places de bons fermiers anglais, et nous verrions bientôt une abondance de produits agricoles dans cette province.


Une population majoritairement francophone et catholique
Entre 1714 et 1749 la population acadienne augmenta de 2 528 personnes en 1714 à 11 925 en 1748 (les familles de plus de 15 enfants étaient fréquentes). Donc les Acadiens, catholiques et francophones, surpassèrent en grand nombre les protestants anglophones. Cela inquiétait le groupe d'anglophones à Annapolis-Royal qui gouvernait la Nouvelle-Écosse.

Jusqu'en 1749, l'Angleterre n'avait envoyé aucun colon en Nouvelle-Écosse, puis en 1749, le roi George II ordonna la fondation d’autres établissements Chibouctou (maintenant Halifax) fut choisi comme siège de base militaire et comme ville pour de nouveaux colons anglophones. Le siège du gouvernement déménagea d’Annapolis-Royal à Halifax la même année. En juin 1749, 2 576 colons arrivèrent d'Angleterre, tous protestants.


Le changement de gouverneur - la solution finale
En 1753 Major Charles Lawrence devint le gouverneur de la Nouvelle-Écosse. Dès sa nomination au poste, il eut l'intention de déporter les Acadiens dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre. Dans une série de lettres, qu'il écrivit en 1754-1755 au colonel Robert Monckton, lieutenant-gouverneur d'Annapolis Royal, Lawrence montre clairement son projet. Il signale qu'il ne veut plus que les Acadiens prêtent un serment parce que s'ils consentent, cela l'empêcherait de chasser tous les habitants. Il avait déjà écrit aux Lords du Commerce en Angleterre qu’il serait bien préférable de les laisser partir, s'ils refusent le serment Ce gouverneur détestait les Français et voulait la destruction de leur pouvoir en l'Amérique du Nord à tout prix. Bien que Lawrence ait déjà décidé de déporter les Acadiens, en 1755, il leur demanda une fois de plus de prêter le serment d'allégeance à sa majesté, sans conditions, sachant qu'ils refuseraient. Ce confrontation cruciale s'est passée à Halifax devant le Conseil du Lieutenant Gouverneur.

Puis Lawrence mit son projet de déportation à exécution. L'action fut rapide et 10,000 Acadiens, environ, étaient déportés loin de leur Acadie. La déportation fut controversée et le reste ainsi jusqu’aujourd'hui.



Les Traités d'Utrecht et de Paris



L'Acadie, des débuts au traité d'Utrecht (1713)
C'est dans les écrits de Giovanni de Verrazano (1485-1528), navigateur florentin aux services de François Ier (1494-1547), que l'on rencontre pour la première fois le vocable Acadie pour désigner des territoires mal délimités correspondant grosso modo aux provinces canadiennes actuelles de Nouvelle-Écosse, de Terre Neuve, de l'Île-du-Prince-Édouard et, en partie, du Nouveau-Brunswick. Les Amérindiens Micmacs, indigènes de la région, désignaient des terres fertiles du nom de "cady"; on en vint à "La Cadie" puis à l'Acadie. Certains ont voulu voir dans Acadie une déformation de Arcadie région idyllique du Péloponnèse (Grèce). Il est difficile de se prononcer; toutefois, les territoires dont parle Verrazano, avec leurs hivers rigoureux et leurs étés riches en moustiques et maringouins étaient loin de ressembler à la douce Arcadie Grecque, même si certaines terres en bordure de mer du Canada de l'Est sont très fertiles!

En juillet 1534, Jacques Cartier prend possession des régions situées dans l'Est du Canada actuel au nom du roi de France (François Ier) Nous sommes au début de la Nouvelle France. Les Français, peu nombreux et peu aidés par la métropole, réussissent cependant à établir différents postes sur les côtes de Nouvelle Écosse et notamment Port-Royal qui en 1605 devint le premier comptoir en Acadie. L'hiver, le scorbut élimine parfois jusqu'à cinquante pour cent des colons qui n'arrivent pas à s'implanter durablement. En 1607, Port-Royal est laissé aux Micmacs, Amérindiens avec lesquels les Français fraternisaient et dont ils appréciaient les squaws . . . La plupart des colons rentrent en France, c'est le début de nombreux allers-retours entre l'Acadie et la métropole d'où l'essaimage des Acadiens sur les deux bords de l'océan; le peuple de l'Atlantique est en gestation...

Les Anglais, sous Jacques Ier, beaucoup mieux servis par leur souverain, fondent Jamestown (Virginie) en 1607 et s'installent même plus au nord. Plus de trois mille Anglais sont déjà sur les lieux, bien soutenus par une politique continue et cohérente. Côté français les colons ne se comptent toujours que par dizaines . . . et encore. On fait mention de . . . deux Jésuites !

Alors queSully, ministre de Henri IV ne s'intéressait pas à l'Amérique du Nord, Richelieu, ministre de Louis XIII de 1624 à 1642, a parfaitement compris l'importance de la colonisation de cette partie du monde. En 1627 est fondée la compagnie des Cent Associés, présidée par Jean de Lauzon. Exploitation, peuplement et christianisation, sont les trois objectifs de la compagnie: une impulsion est donnée; désormais des familles entières et non plus seulement des célibataires vont venir s'installer en Acadie. La Compagnie des Cent Associés fait faillite et est remplacée par celle des Indes occidentales qui disparaîtra à son tour en 1774. Quelques positions anglaises sont reconquises, les Français s'installent alors dans l'île du Cap Breton (dans l'est de la Nouvelle Écosse). Ce regain d'activité est facilité par le port de La Rochelle qui passe de nouveau sous la coupe du roi de France (Louis XIII) après qu'il ait été reconquis sur les protestants. La colonisation est alors surtout le résultat d'initiatives privées.


Les efforts de Colbert ne sont pas suffisants pour contrer l'Angleterre
Colbert (1619-1683), ministre de Louis XIV veut remettre de l'ordre dans la colonisation de la Nouvelle France qui jusqu'à maintenant a été quelque peu erratique. Pour la première fois, en 1665 une unité militaire constituée, le régiment de Carignan, est affectée à la Nouvelle France . En dépit de la réorganisation administrative et de l'aide apportées à l'Acadie, les disparités ne cessent de croître entre les colonisations anglaise et française. Côté français les colons ne sont toujours que quelques centaines et les aides que reçoivent les Acadiens sont parcimonieuses voire chiches quand on les compare aux apports de l'Angleterre. Même après la paix de Breda (1667) qui restituait l'intégralité de l'Acadie à la France, les Anglais en place refusent de partir et n'hésitent pas à s'associer aux corsaires hollandais pour piller et mettre à sac bien des villages acadiens. La situation de l'Acadie de la fin du XVII è siècle est extrêmement précaire; certes les Acadiens ont accompli un travail considérable en mettant en valeur les terres sur lesquelles ils ont appliqué la technique des aboiteaux importée de l'ouest de la France, toutefois, rien ne peut compenser la suprématie militaire et surtout démographique des Anglais qui sont maintenant plus de deux cents mille alors que la Nouvelle France ne compte que dix mille colons dont mille en Acadie.

Quelques colons, entreprenant et courageux essaient de compenser l'infériorité numérique des Français en incorporant des Amérindiens dans les troupes du roi de France. Ainsi le baron de Saint-Castin (1652-1703) n'a pas hésité à se marier avec la fille d'un grand chef autochtone pour gagner les Abénakis à la cause française. De Saint Castin très indianisé n'en continuait pas moins à commercer avec les Anglais de Boston. Plus Abénaquis que Français, de Saint Castin s'efforça de servir aussi les intérêts des Indiens. Comme on avait besoin de l’alliance des Abénaquis, la cour, les gouverneurs généraux, les gouverneurs de l’Acadie, ménagèrent toujours le baron et le traitèrent avec les égards dus à son rang. En dépit de tous ces louables efforts il était difficile de faire face à l'Angleterre qui, étant une ile pouvait concentrer tous ses efforts uniquement sur la marine tandis que la France devait entretenir une importante armée de terre pour défendre la métropole contre les attaques toujours possibles venant du nord est; de plus, la France devait avoir deux marines, une pour l'Atlantique, une autre pour la Méditerranée.

La paix de Ryswick (1697) met fin à la guerre de la ligue d'Augsbourg, qui reconnaît très officiellement que l'Acadie est bien française. Comme aucune frontière n'est précisée, les Anglais continuent à agir selon leur bon plaisir sans trop tenir compte des décisions des métropoles. Quant aux gouvernants français locaux, ils ne cessent de se quereller ce qui n'arrange rien à la situation plus que fragile des pêcheurs, chasseurs et surtout paysans acadiens qui se désintéressent des luttes incessantes que se livrent les métropoles et dont ils font les frais.


La guerre de succession d'Espagne (1701-1713) et le traité d'Utrecht (1713)
Louis XIV s'engage dans une guerre insensée pour soutenir son petit fils Philippe d'Anjou que Charles II , mort sans enfant en 1700, avait désigné comme héritier du trône d'Espagne. Une coalition se forme contre la France; on ne veut pas d'un Bourbon sur le trône d'Espagne car on craint que la France et l'Espagne ne soient bientôt réunies sous une seule couronne. Les Anglais en profitent pour étendre leurs conquêtes en Amérique du nord; malgré une défense héroïque des Français et des Abénakis commandés par d'Augier de Subercase, Port-Royal doit capituler le 13 octobre 1710. Les officiers et soldats peuvent regagner la France; quant aux civils, ils ont le choix soit de quitter l'Acadie en laissant leurs terres et leurs biens, qu'ils peuvent vendre, soit de rester, mais à condition de prêter allégeance à Anne Stuart, reine d'Angleterre. Ils peuvent garder leur religion dans la mesure où ils respectent les lois britanniques. Port-Royal est rebaptisée Annapolis Royal.

Certes, par le traité d'Utrecht (Pays-Bas), signé le 11 avril 1713, Philippe d'Anjou devenait bien roi d'Espagne sous le nom de Philippe V* mais il était bien stipulé que la France et l'Espagne ne devraient jamais être sous l'autorité d'un même souverain. En Amérique du nord, la France perd l'Acadie, la baie d'Hudson et Terre-Neuve. Encore une fois les territoires français et anglais de la région étant très mal délimités, il faut s'attendre à bien d'autres conflits . . .


Du traité d'Utrecht (1713) au Grand Dérangement (1755)
Après le traité d'Utrecht, la plupart des Acadiens demeurèrent en Acadie sans faire le serment d'allégeance qui leur était demandé. Au départ, les Anglais de la colonie ne voyaient pas grand inconvénient à ce refus car ils considéraient les Acadiens comme une richesse; les Acadiens leur fournissaient la nourriture et le bois dont ils avaient besoin.


L'île du Cap-Breton et Louisbourg
L'Acadie étant perdue, la France essaya de regrouper tous les Acadiens dans l'île du Cap-Breton que l'on rebaptisa île Royale afin d'y constituer une Nouvelle Acadie. On décida de construire une forteresse dans le "style Vauban", comparable à celles du nord-est de la France (ex: Verdun). On édifia donc la forteresse de Louisbourg.
Les Acadiens établis de fraîche date émigrèrent à l'île St Jean (future île du Prince Édouard) et à l'île Royale; les autres, implantés depuis plus longtemps et qui avaient travaillé très dur et réussi à mettre en valeur les terres qu'ils avaient aménagées demeurèrent en Nouvelle-Écosse désormais britannique. Les Acadiens voulaient vivre en paix dans leur foi catholique et demeurer neutres vis-à-vis de la France et de l'Angleterre. En 1730 nombre d'entre eux acceptèrent de signer un acte de soumission édulcoré dans lequel ils admettaient devenir sujet de sa Majesté britannique mais à condition de n'avoir à porter les armes ni contre des Européens ni contre des Indiens tout en gardant leur religion.
Ils connurent une période de prospérité et de croissance démographique jusqu'à la guerre de succession d'Autriche (1740-1748), qui, une fois de plus, vint troubler leur quiétude. Les Anglais reprirent la guerre contre la France et, entre autres, leur politique de conquête de l'Amérique française. Louisbourg assiégé par les Anglais finit par capituler le 30 juin 1745; en juillet, 2500 colons, parmi lesquels des Acadiens, regagnèrent la France. En 1748, par le traité d'Aix-la-Chapelle qui met fin à la guerre, Louisbourg fut restitué à la France. La situation demeure précaire pour les Acadiens désormais sujets britanniques et qui continuent de refuser de faire le serment d'allégeance absolue au roi d'Angleterre; ils risquent l'expulsion. En dépit de l'insécurité créée par les exigence des Anglais, on est encore dans une période prospère et la population acadienne atteint environ 13 000 habitants soudés autour de l'abbé Le Loutre qui prêche la résistance à l'assimilation.


Le Grand Dérangement (1755)
Les Anglais incendient les demeures des acadiens afin de les dissuader de tout retour. En octobre 1753, un nouveau gouverneur, Charles Lawrence, est nommé en Acadie. Très hostile aux Français, il en arrive à la seule solution qui à ses yeux lui permettrait de venir à bout des Acadiens: la déportation. En accord avec le gouvernement de Londres, les Acadiens seront donc expulsés de la province, et leurs biens (terres troupeaux, maisons) seront confisqués au profit de la couronne britannique; ils ne pourront emporter avec eux que l'argent liquide et leurs meubles. Les maisons des déportés sont parfois brûlées de manière à dissuader les expulsés de tout retour. Bien des églises (catholiques) furent brûlées sans que les fidèles aient eu toujours le temps de les évacuer ... Oradour-sur-Glanes a eu des pécédents ! (Village de Haute Vienne dont les habitants ont été massacrés par les Allemands le 10 juin 1944)

De septembre à décembre 1755 environ 7000 Acadiens sont embarqués dans la baie des Français sur des bateaux anglais pour une destination inconnue: le Grand Dérangement commence; c'est le fait historique qui a le plus marqué le peuple acadien. Nombreux sont les Acadiens qui ne survivront pas au voyage, certains furent emportés par la variole et la typhoïde, d'autres périront noyés. Les Anglais brûlent toutes les maisons et églises afin d'interdire tout retour aux exilés et de priver de tout refuge ceux qui ont échappé à la déportation en fuyant vers Québec ou dans les bois avec les Indiens. Un peuple va être dispersé. . . A cette époque la France et l'Angleterre n'étaient pourtant pas en guerre ! ...

Ce n'était pas la première fois que les Anglais avaient recours à des méthodes expéditives pour éliminer des sujets rebelles; rappelons les actions de Cromwell en Irlande où une résistance royaliste et catholique s'était manifestée après l'exécution de Charles I er: massacre de Drogheda (1649) puis confiscation des biens des paysans catholiques au profit des protestants anglais en 1654. Trois siècles et demi plus tard les catholiques de l'Eire n'ont toujours pas oublié !

Quand on ajoute à toutes ces exactions les camps de concentration de la guerre des Boers (tout début du XXè) on s'aperçoit qu'il n'y a pas que des nouveautés pour ce qui a trait aux turpitudes humaines. Le Grand dérangement de 1755 a donné lieu à un poème épique: " A tale of Acadie", rédigé en 1847 par Henry Longfellow et traduit en 1865 par L.Pamphile Le May. Une jeune Acadienne, Évengéline, a sa vie brisée car, lors de la déportation elle est séparée de Gabriel auquel elle était promise et avec lequel elle ne se mariera jamais.


Le destin des expulsés
Le plan de Charles Lawrence était net: disperser les Acadiens dans les 13 colonies anglaises situées entre l'Atlantique et les Appalaches et, dans chacune d'elles, ne pas les laisser se regrouper. Cette pulvérisation du peuple acadien avait pour but de faciliter leur assimilation au monde anglo-saxon. Dans un premier temps les Acadiens furent donc essaimés des états de la Nouvelle Angleterre à la Georgie. A chaque escale on laissait quelques familles acadiennes: en Pennsylvanie, au Maryland, dans les Carolines.

L'accueil fut presque toujours très réservé voire hostile car ces vigoureux papistes, concurrents éventuels, risquaient de perturber la vie des réformés. Nombreux sont ceux qui, après avoir fait une courte escale sur la côte Est, gagnent la Louisiane encore française. En Virginie, les Acadiens furent refusés et ''expédiés'' en Angleterre où ils furent retenus comme prisonniers jusqu'au traité de Paris (1763). La Guerre de Sept Ans étant déclarée, les Anglais peuvent désormais attaquer les positions françaises en toute impunité: Louisbourg capitule le 26 juillet 1758 (On parle de seconde capitulation, la première ayant eu lieu en 1745) l'île Royal et l'île St Jean sont occupées; de nombreux Acadiens qui avaient trouvé refuge dans les territoires demeurés français quittent le Canada et regagnent la France. Québec est perdu à la suite de la bataille des plaines d'Abraham ou Montcalm et Wolf perdent la vie (13 sept.1759); en septembre 1760 Montréal tombe à son tour. Sur les côtes de France l'Angleterre s'empare de Belle-Île, au large de la Bretagne au printemps de 1761.


Le traité de Paris (1763)
Le traité de Paris met fin à la guerre de sept ans dans laquelle Louis XV s'était engagé au côté de l'Autriche contre l'Angleterre et la Prusse; c'est un traité catastrophique pour la France, nous ne l'envisagerons ici que pour ce qui concerne l'Amérique et les Acadiens. - La France perd tout le Canada. Seuls des droits de pêche très restrictifs sont accordés au large de Terre Neuve; l'Angleterre concède St Pierre et Miquelon mais avec interdiction d'édifier des fortifications. Les Français peuvent rester au Canada et ont le droit de pratiquer leur religion; ils peuvent aussi quitter le territoire dans un délai de 18 mois mais ne peuvent vendre leurs biens qu'à des sujets britanniques.
- La partie de la Louisiane située à l'Est du Mississipi passe à l'Angleterre, le reste va à l'Espagne.
- Belle-Île est restituée à la France en échange de Minorque.
- La France garde La Martinique et la Guadeloupe, St Domingue et la Guyane.


Après le traité de Paris
Dès 1764, les Acadiens sont autorisés à revenir dans leur pays mais à condition de faire un serment d'allégeance absolue à la couronne britannique et de ne pas se regrouper. Nombreux sont les Acadiens qui quittent des 13 colonies anglaises de la côte Est, notamment les Carolines et la Georgie pour regagner le pays d'où ils ont été chassés. En 1787, 125 Acadiens qui avaient trouvé refuge à Belle-Île-en-Mer partent en Louisiane, les frais du voyage étant payés par le roi d'Espagne. Certains de ces Acadiens sont les ancêtres des Cajuns actuellement encore dans la région proche de Bâton Rouge. Bien d'autres migrations se feront jusqu'à la fin du XIX è siècle d'où la dispersion incroyable de ce peuple fondamentalement catholique, pacifiste et initialement voué aux travaux de la terre, à la chasse, à la pêche, et à tout ce qui a trait au bois. Il est pratiquement impossible de retracer tous les déplacements que les Acadiens ont connus.


Les Loyalistes
Par le traité de Versailles de 1783, l'Angleterre reconnaît l'indépendance des Américains lesquels avaient proclamé unilatéralement leur indépendance le 4 juillet 1776. 30 000 Loyalistes, Anglais demeurés fidèles à la couronne d'Angleterre, migrent vers le Nord et s'installent en Nouvelle-Écosse et surtout dans la région de l'actuel Nouveau-Brunswick où beaucoup d'Acadiens sont déjà de nouveau établis. Ces derniers qui ne prisent guère les sujets très fidèles à sa Majesté vont s'installer plus au Nord dans la région du Madawaska et de Gloucester.


Les Acadiens jusqu'à la Confédération (1867)
Au Canada, petit à petit les Acadiens vont se réorganiser, quelques écoles animées par des prêtres apparaissent dès le début du XIX è siècle et en 1830 ils commencent à avoir quelque influence politique, une certaine prospérité réapparaît; le bois de l'Est canadien est très apprécié pour la construction des bateaux. Pendant ce temps les Acadiens restés sur la cote Est américaine sont lentement assimilés et leur ''acadianité'' ne se manifestera bientôt plus que par leur patronyme: Arseneau, Guillebeau, Brossard, Boudreau, Mélançon, Chiasson et tant d'autres. Quant aux Cajuns de Louisiane ils formeront de petites communautés entre les bayous, sous un climat chaud et humide particulièrement difficile. Certains de ceux qui sont revenus en France y sont restés et se sont fondus à leurs concitoyens demeurés dans la métropole. La Confédération canadienne (1867) ne fera pas de l' Acadie une unité administrative, il n'y a pas de province nommée Acadie. Il existe cependant une entité culturelle acadienne qui va continuer de se développer, surtout au Nouveau-Brunswick et à l'Est de la Nouvelle-Écosse, notamment au Cap-Breton.



Les Acadiens en Guyane



LES ACADIENS "HABITANTS" EN Guyane DE 1772 A 1853
L'examen détaillé des généalogies et des résultats économiques des habitations des quartiers de Kourou, de Sinnamary et d'Iracoubo entre 1772 et 1853 montre que les colons Acadiens, venus en Guyane dans le cadre de la désastreuse "Expédition de Kourou" de 1764, ont plutôt bien réussi leur implantation, contrairement aux conclusions avancées par la plupart des spécialistes de la période. Ce constat nous amène à relancer le débat sur l'émergence de véritables cultures paysannes, via la société d'habitation, parallèlement ou en dehors de la société de plantation.

Les 11000 morts de l'expédition de Kourou de 1763 ont à jamais marqué la réputation de la Guyane française à une époque où, sous le nom de "France Équinoxiale", le duc de Choiseul voulait faire de la colonie un nouveau Canada et, selon Winzerling (1955), en devenir lui-même le vice-roi. Les chiffres cités à propos des Acadiens ont parfois le don d'exaspérer démographes et historiens. Ils sont ici un raccourci indispensable pour bien comprendre les événements qui ont marqué cette phase essentielle de l'histoire de la Guyane.

En 1762, la population de la Guyane est composée d'environ 750 "habitants" blancs, 100 "libres" (affranchis, libres de couleur ou encore "gens de couleur libres"), 5000 esclaves noirs, auxquels il faut ajouter environ 700 Amérindiens vivant sur le littoral mais n'intéressant plus guère l'administration coloniale. En 1763 et 1764, environ 14000 colons blancs auraient été envoyés dans la colonie, parmi lesquels un nombre d'Acadiens très difficile à évaluer. On estime qu'environ 11000 colons sont morts dans les premiers mois qui ont suivi leur arrivée ou durant le trajet, qu'environ 2000 ont pu être rapatriés et qu'à peine un millier (dont peut-être 400 Acadiens) sont restés malgré des conditions plus ou moins difficiles qui seront la cause de nombreux nouveaux décès, dès les premiers mois de l’installation de ces colons, qui étaient tous volontaires. Les Acadiens, qui avaient jeté leur dévolu sur les quartiers de Kourou et de Sinnamary, ne furent pas épargnés. D'après les registres de l'état civil ("registre des morts") que j'ai pu consulter pour Sinnamary, environ 80Acadiens sont décédés en un an, entre décembre 1764 et décembre 1765, une vingtaine en 1766 et 1767.

En 1772, la population de la Guyane compte environ un millier de blancs, 300 libres de couleur et 8500 esclaves. Le nombre de colons blancs restera stable jusqu'à l'abolition de l'esclavage en 1848 qui affranchira 12333 noirs. En 1853, il n'y a que 16817 habitants en Guyane. Le nombre des Blancs a diminué, à la suite au désastre économique qui a accompagné l'abolition qui a touché certaines "habitations". Il diminuera encore, à cause de la maladie et, selon Cardoso (1971), à cause d'une trop grande consanguinité, jusqu'à la disparition des Blancs en tant que groupe ethnique différencié, dès la seconde moitié du 19e siècle. Les dernières familles blanches disparurent sans laisser de trace entre 1848 et 1890. Les Acadiens auraient donc disparu avec ce groupe, pour les mêmes raisons, mais aussi et surtout consécutivement à un important métissage facilité par le type de structure économique qui s'était mis en place dans les quartiers de Kourou et de Sinnamary (puis d'Iracoubo à partir de 1785) et que nous appellerons ici "société d'habitation".

Mettre en avant le rôle qu'ont pu jouer les Acadiens dans la formation de la société créole guyanaise, c'est prendre en compte les conséquences dues au fait que ces habitations fonctionnaient avec un nombre relativement peu élevé d'esclaves (deux, trois, parfois quatre), contrairement à "la société de plantation", celle des grosses habitations qui nécessitent un nombre considérable d'esclaves (250 à 300 pour les plus grosses habitations de l'Ile de Cayenne en 1848). La trajectoire de vie des Acadiens en Guyane est intimement liée au sort de la société d'habitation. Ignorés le plus souvent, sauf au moment de l'arrivée des déportés de 1795 et de 1796, mis à l'écart des ambitions économiques des administrations successives, les habitants de ces quartiers ont vécu en quelque sorte en marge des mutations décisives de la colonie (projets d'aménagement des terres basses, etc.), qui auguraient d'un mode de vie qui allait devenir dominant dans la formation sociale post esclavagiste, celui de la petite paysannerie créole des bourgs côtiers.
Pourquoi dès lors s'intéresser aux Acadiens de Guyane ? Tout d'abord, parce que 150 à 200 Acadiens, installés en Guyane, en 1767, dans une colonie de 1500 "habitants", est loin d'être un nombre négligeable. Ensuite, parce que l'observation des résultats économiques des quartiers de Kourou, de Sinnamary, puis d'Iracoubo, entre 1772 et 1848, et celle des généalogies des habitants reconstituées sur cinq ou six générations, de 1763 à 1853, contredisent totalement les idées reçues concernant cette migration en Guyane, ainsi que les conclusions le plus souvent avancées à propos de cette "expédition de Kourou".


IMAGES D'UN DESASTRE, IMAGINAIRE D'UN ECHEC : UNE RECONSIDERATION DES SUITES DE L'EXPEDITION DE Kourou
La plupart des spécialistes de la période, comme Émile Lauvrière (1924), considèrent la Guyane comme le lieu d'un "autre naufrage acadien" où ne subsisteraient, à la fin du 19e siècle, "que quelques épaves". On constate, bien au contraire, le relatif succès de leur implantation, tant sur le plan démographique qu'économique, de 1766 à 1772, puis jusqu'en 1853, date à laquelle nous avons pour l'instant interrompu notre recherche.

Cette découverte est, par ailleurs, de nature à reconsidérer l'ensemble de l'historiographie guyanaise, que celle-ci s'appuie sur des travaux historiques ou sur des récits de voyageurs, de déportés ou d'habitants qui voudraient d'une part que les Acadiens disparaissent de l'histoire des quartiers de Kourou, de Sinnamary et d'Iracoubo, à partir de 1765, au profit des Alsaciens et des Allemands, donnés comme seuls rescapés de "l'expédition de Kourou" et donc à l'origine du peuplement des savanes de Kourou jusqu'à Organabo, d'autre part que ces terres aient toujours été peuplées "d'épaves", de troupeaux égarés et, en ce qui concerne les habitations, de "mauvaises huttes, moins propres que les loges de nos sabotiers des grandes forêts".
Mais, au-delà de la reconstitution de la véritable histoire des Acadiens en Guyane, l'intérêt de cette recherche est anthropologique, dans la mesure où, parallèlement à la recherche sociolinguistique (Chaudenson, 1991) qui vise à démontrer le caractère fondamental de la phase dite de la "société d'habitation" pour la genèse de la langue créole, il nous semblait essentiel de vérifier si, à partir d'une recherche en anthropologie historique sur l'insertion écologique de ces populations et sur leurs stratégies matrimoniales, on ne retrouvait pas des données fondamentales pour la compréhension des phénomènes de créolisation socioculturelle.

Il n'est, bien sûr, pas question de procéder ici à une réévaluation complète de la société d'habitation qui, selon Chaudenson (1991 : 94), se caractérise par une lente montée en pourcentage de la population servile et par des conditions de vie quotidienne très difficiles qui mettent sur un pied d'égalité noirs et blancs. Nous voulons simplement isoler quelques-uns de ses effets structurants en ce qui concerne ce que l'on peut appeler la formation d'une petite paysannerie créole guyanaise, après avoir constaté qu'un tel examen n'avait jamais été effectué à l'échelle de la Guyane pour la période considérée, et bien sûr mettre en évidence le rôle moteur des Acadiens dans cette formation.

En Guyane, l'étude de ce qu'il est convenu d'appeler la "société d'habitation" concerne essentiellement le devenir des communes du littoral (Ouanary, Approuague, Mana) après l'abolition de l'esclavage, c'est-à-dire la réinstallation des communautés rurales sur de nouvelles bases économiques qui correspondent à ce que l'on appelle la "civilisation de l'abattis" (culture sur brûlis). C'est l'avènement de "l'habitation créole" avec la création d'une multitude de petites exploitations agricoles (Jolivet, 1982). Il s'agit ici de prendre en compte l'existence d'un même type d'exploitation (par la taille, car bien sûr les "habitants" avaient un ou deux esclaves) en marge de la moyenne ou de la grosse habitation esclavagiste, dans une zone qui n'a jamais connu les effets de ces dernières.

On sait, bien entendu, que sur les quelques 500 "habitations" répertoriées en Guyane dans les années 1840, à peine une centaine avaient une certaine envergure, c'est-à-dire un nombre d'esclaves suffisamment important pour dépasser le stade de la petite exploitation de type "paternaliste" où "l'habitant" n'est aidé que par quelques esclaves. Mais dans certains quartiers, comme ceux de Sinnamary ou d'Iracoubo où ce type de petite "habitation" était devenu la règle depuis 1765, on n'a guère enregistré à partir de 1848 de rupture brutale au niveau de la structure de l'exploitation, si ce n'est, bien sûr, une démobilisation générale dans un premier temps qui a conduit à l'abandon de nombreuses" habitations" et au départ de certains propriétaires ruinés.

Mieux encore, un rapport militaire de 1787 (cité dans Coeta, 1992) précise que plus du quart des habitants de la colonie se retrouvent installés entre Carouabo et Iracoubo, constituant une population de "Petits Blancs" équivalente, toute proportion gardée, à celle qui pouvait peupler les Hauts de La Réunion ou la côte entre Saint-Pierre et Saint-Philippe, à peu près à la même époque: "Il y a plus d'habitants qui y résident que dans aucun autre quartier de la colonie, quoique celui-ci ne soit habité que jusqu'à Iracoubo, ils sont au nombre de 285 de tout sexe et âge, il faut observer que dans ce monde ne sont aucunement compris les indiens d'Organabo, de Mana, de Maroni et autres lieux circonvoisins qui sont très nombreux. On cultive un peu de rocou dans ce quartier et des vivres seulement pour les esclaves, les habitants se livrent de préférence à l'éducation des bestiaux qu'ils élèvent avec succès dans des savanes d'une étendue immense. On compte dans cette partie environ 5000 têtes de gros bétail, non compris le menu qui consiste principalement en cochons".


LA CREOLISATION DES ACADIENS DANS LE CADRE DE LA SOCIETE D'HABITATION
En 1772, le quartier de Sinnamary regroupe 175 habitants et 58 esclaves. Sur les 67 habitations recensées en 1767, près de la moitié appartiennent toujours à des Acadiens. Sur les 33 habitations qui ont à leur tête un "habitant" canadien (de Québec) ou acadien, sommairement relevées en 1767(ce nombre dépasse quarante si l'on inclut les familles dont l'épouse est canadienne ou acadienne), 27 existent toujours en 1772, et sont entre les mains des mêmes familles. Il est donc difficile de parler de l'échec de l'implantation des Acadiens en Guyane, d'autant plus que ces mêmes familles vont faire passer la population des quartiers de Sinnamary, d'Iracoubo et de Kourou respectivement à 784, 422 et 792 habitants, en 1853, avec un nombre d'esclaves inférieur à celui des habitants en 1848. En d'autres termes, la population des quartiers de Sinnamary et d'Iracoubo a été multipliée par plus de cinq entre 1772 et 1853, passant ainsi de 233 à 1209 habitants, tandis que la population totale de la Guyane s'accroissait faiblement entre ces deux dates, passant ainsi d'environ 10000 à 17000 habitants.

Comment expliquer de tels résultats dans le contexte si traumatisant des suites de l'expédition de Kourou ? La réponse tient, en partie, dans la volonté de réussite qui animait ces Acadiens, volonté dont ils avaient déjà fait preuve en Acadie quelques années plus tôt pour constituer, au milieu du XVIIe siècle, ce que P. D. Clarke (1994) appelle "une société paysanne à l'américaine", précisant au passage que du côté des relations interethniques, le métissage était plus important qu'on ne le croit, ce qui n'eut cependant qu'un effet mineur. Question de mentalité donc, dans cette population de pionniers habitués au travail de la terre dont les ancêtres étaient venus travailler pour le compte de compagnies (1635) et auxquels s'étaient joints des engagés, des soldats congédiés, quelques survivants métis de la première génération qui pratiquait déjà une agriculture diversifiée et le commerce (cabotage, pêche sédentaire, construction navale, etc.). Leur motivation n'était peut-être pas identique à celle qui avait guidé leur première migration vers l'Acadie, mais il restait probablement chez ces colons un certain esprit d'entreprise et de réussite qui faisait probablement défaut à d'autres membres de l'expédition de Kourou.


La constitution de lignées et l'alliance matrimoniale
Dès les premiers mois de leur installation sur les terres concédées dans les quartiers de Kourou et de Sinnamary, une vie sociale intense a pu être mise en place avec, comme priorité, la constitution de familles, formant de nouvelles lignées, qui allaient prendre possession des nouvelles habitations. Il est manifeste que les Acadiens ont été tentés par la constitution d'une communauté largement endogame (on le voit lors des remariages de veufs et de veuves). Mais, face aux nombreux décès qui décimaient leur groupe dès les premiers mois de leur installation, ils furent contraints à des alliances exogames avec d'autres groupes de blancs, quand cela s'avérait possible (Allemands, soldats congédiés, colons réfugiés des Antilles, vieilles souches créoles blanches de Guyane, nouveaux arrivants), avec des esclaves noirs ou métis quand la pression sociale parvenait à s'assouplir, ou tout simplement en contractant des unions illégitimes. On le constate aisément avec les premiers mariages célébrés dans la paroisse de Sinnamary en janvier 1765 : Alexandre Pierre Marie Thomas, sieur de la Vallée, avec Anne Lambert, veuve de Paul Girouer de l'Ile Saint-Jean; François Villedieu, fils de Jean-Baptiste Villedieu et de Catherine Grosset de Louisbourg, avec Victoire Diarse, fille du défunt George Diarse et de la défunte Marie Campian de l'Ile Royale; Jean Charles Yvon avec Marie-Eve Olné du Palatinat; Guillaume Lessart de Saint-Malo avec Marie-Rose Billard, fille de Simon Billard et de Marie-Josèphe Charpentier de l'Ile Saint-Jean (les 7 et 15 janvier avec pour témoins des Lecraig, Lecoudé, Noreau, Lavigne, François Cadet, Michel Benoist, Pierre Girard, etc.)

La deuxième vague de mariages, enregistrée les 22 et 23 juillet 1765, confirme cette volonté de resserrer les liens de la communauté acadienne. On peut signaler, en particulier, les mariages de Charles Desroches, officier bleu,36 ans avec Julienne Lecraig, 29 ans, fille de Guillaume Lecraig et Marguerite Langouette de Louisbourg; Jean-Baptiste Nicolas Levesque, 29 ans, avec Marie-Françoise Benoist, 27 ans, fille de Charles Benoist; Jean Boileau, 32 ans, avec Marie Vincent, 22 ans, fille de Jean Vincent et Marguerite Hébert de l'Acadie; François Cadet, 23 ans, de Québec, fils d'Augustin Cadet et de Marie-Louise Desrosiers, avec Marie Guédry, 20 ans, fille de Pierre Guédry de Louisbourg; Joseph Lachance, 24 ans, de l'Ile d'Orléans, Canada, fils de Joseph Lachance et Marie-Jeanne Thivierge, avec Marie Bertrand, veuve de Yves Lamarre, 30 ans, fille d'Antoine Bertrand.

On retrouvera une partie de ces ménages dans le "recensement des habitants de Sinnamary fait le 1er mars 1765" puis, dans le "recensement des habitants du poste de Sinnamary fait dans le mois de mai 1767" : 235 habitants dont 213 personnes libres, mais surtout 67 habitations avec chacune à leur tête un chef de famille ou d'exploitation que l'on nomme "habitant"11. Notons, en particulier, que quatre de ces habitants sont des veuves dont deux vont se remarier par la suite. Marie Petit-Pas, veuve de François Osanne, décédé en janvier 1765, se remariera par exemple avec Étienne Vergnes, le 30 septembre 1771.

Une vie communautaire va se développer très rapidement, à l'image des "Cadies" du Québec, à partir de la soixantaine d'habitations de Sinnamary et de la vingtaine de Kourou, avec les familles des gardes-magasiniers (Canceler, Morgenstern), des chirurgiens (Cabrol, Rougier), des passeurs (Bigot, Haas),des commandants de quartier (Pradines, de Marcenay). On notera le rôle clé de certains groupes "donneurs de femmes", constitués à la suite de nombreux décès masculins dans ces familles ou à un nombre plus élevé de filles. Ils marieront deux ou trois sœurs (Hébert, Boulanger, Guédry), le plus souvent après des premières vagues de veuvages. Les "renchaînements" d'alliances furent ainsi nombreux entre Acadiens mais aussi avec les Alsaciens, les soldats congédiés, les réfugiés de la Guadeloupe et de la Dominique.

Comme en Nouvelle-France à la même époque, on crée une organisation familiale différente des modèles de la société paysanne française des XVIIe et XVIIIe siècles. Sa particularité réside d'abord dans l'esprit de liberté qui accompagne l'établissement des colons dans les savanes de Kourou, de Sinnamary et d'Iracoubo, puis dans un écosystème qui favorise l'élevage, la petite exploitation agricole, donc des habitations de taille modeste, un certain paternalisme à l'égard des deux ou trois esclaves qui partagent le sort de l'habitation, des unions illégitimes et rapidement un grand nombre d'enfants mulâtres, reconnus ou non, selon les périodes. Dans cette organisation familiale où prédominent une mentalité de "colon", l'établissement des frères sur des lots voisins (plutôt que leur maintien sur une terre commune qui serait celle du lignage), le remariage rapide des veuves, la suprématie des liens de voisinage sur certains liens de parenté, une forte solidarité sociale (liens d'entraide) autour des unités écologiques de base que sont l'habitation, le quartier, la paroisse, on remarque que la logique de l'esprit de liberté propre au colon du nouveau monde rejoint celle de la société d'habitation avec la domination sexuelle des blancs sur les noires (concubines d'habitants le plus souvent), ainsi que la hiérarchie socio raciale dans un contexte de "robinsonnade" (le partage du même dénuement, des mêmes cases de bois et de feuilles que l'on appelle "carbets" en Guyane).

A la troisième génération, le métissage était devenu important. Certaines habitations comptaient au moment de l'abolition de 1848 plus d'une dizaine d'esclaves. Il s'agissait le plus souvent de la compagne esclave de l'habitant, de ses enfants et petits-enfants, de quelques vieillards. Certains habitants s'étaient remariés deux ou trois fois, les femmes mourant régulièrement en couche ou peu de temps après. Les affranchissements sont nombreux, par exemple en 1833. L'état civil des paroisses (mariages, décès, naissances) nous permet de cerner au plus près la mémoire familiale des quartiers, la saga de certaines familles jusqu'à leur disparition des différents registres disponibles.


Voir Source et suite : Bernard CHERUBINI http://genealogie.dalbiez.eu/Habitants Acadiens Guyane.html